Ceci n’est pas une autobiographie
 (Un exemple d’autofiguration : les Romanesques1 d’Alain Robbe-Grillet II2 ))

 

Frank Wagner (Université Rennes 2)

 

Romanesques et autobiographie
« […] est-ce vraiment une autobiographie ? » se demandait l’auteur (probablement pluriel) du texte de 4ème de couverture du Miroir qui revient. Pour détourner un slogan publicitaire naguère - ou déjà, jadis - populaire : de l’autobiographie, les Romanesques ont la couleur, l’odeur, la saveur, mais ne sont pas réellement de l’autobiographie ; tout au plus du Canada Dry d’autobiographie. Toutefois, l’intérêt de la trilogie provient précisément en grande partie de cette dialectique de l’accord et de l’écart, de la phase et du déphasage, avec cette forme canonique - dont il peut être utile de rappeler la définition qu’en propose Philippe Lejeune, à la croisée des trois paramètres fondamentaux que sont la forme du langage, le sujet traité et la situation de l’auteur : « […] nous appelons autobiographie le récit rétrospectif en prose que quelqu’un fait de sa propre existence, quand il met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. »3 Comme toute tentative de formalisation, celle-là possède les défauts de ses qualités, c’est-à-dire que sa rigueur risque de passer pour une excessive rigidité, qu’il conviendrait dès lors d’assouplir. On sait d’ailleurs qu’au fil de ses travaux, Philippe Lejeune a lui-même dû nuancer le premier de ces paramètres définitoires, puisqu’il s’est avisé qu’il existait des autobiographies en vers, comme Chêne et chien de Raymond Queneau4 . Mais il a continué de faire dépendre l’autobiographie de l’identité de l’auteur, du narrateur et du personnage, et du respect de ce qu’il perçoit et présente comme un impératif de véridicité. Or, même si, dans les Romanesques, et tout particulièrement dans Le Miroir qui revient, Robbe-Grillet raconte sa propre vie, de façon au moins ponctuellement rétrospective, il ne s’en ingénie pas moins à saper la majeure partie des critères dont Lejeune fait dépendre l’existence de l’autobiographie en tant que genre. Voyons donc en quoi consiste cette subversion générique, en distinguant ce que les textes font de ce que les textes disent - de leur facture comme des motivations qui la déterminent.

Ce que les textes font
Tout d’abord, au vu de la définition proposée par Lejeune, l’autobiographie peut être considérée comme une entreprise de « saisie logico-temporelle du moi »5  ; c’est-à-dire que l’autobiographe tente d’appréhender la totalité de son existence (du moins jusqu’au moment où il écrit), en vue d’en dégager la signification globale. Il ne s’agit donc pas seulement d’évoquer les événements passés de sa vie, mais de les organiser en outre selon un modèle logique, en y introduisant des relations de cause à effet. L’autobiographe s’efforce ainsi de comprendre comment il est devenu celui qu’il est, et de partager cette tentative de compréhension de lui-même avec ses lecteurs. La continuité du récit apparaît donc ici fondamentale, puisque en dépend la possibilité même d’une vision cohérente de l’existence, gage de sa signification d’ensemble. A l’inverse, même en ignorant tout des principes qui le guident, chacun peut constater que, dès la composition du Miroir qui revient, Robbe-Grillet bat en brèche ce critère de continuité signifiante, auquel il oppose une structure délibérément fragmentaire. En atteste la présence dans chacun des volumes de la trilogie d’une table des matières, qui respecte, et plus, exhibe, le désordre sélectif des opérations d’anamnèse. Lorsqu’un sujet se souvient de son passé, en effet, ce n’est pas dans l’ordre chronologique, de la petite enfance à l’âge mûr, mais de façon totalement désordonnée, à la faveur de multiples associations d’idées. C’est précisément ce fonctionnement « associationniste »6 - et par là même anarchique - de l’activité mémorielle que Robbe-Grillet choisit de respecter en (dé-)construisant sa « vraie-fausse autobiographie » comme un montage de fragments disparates. Or ce principe de fragmentation, tout à fait primordial, est justement ce qui permet de comprendre, et peut-être d’apprécier, l’aspect « décousu » de ces trois textes. Ainsi s’expliquent les nombreux blancs typographiques séparant les diverses séquences textuelles, et que ne vient pas compenser l’introduction de liens logiques, que l’auteur jugerait artificielle. Ainsi s’explique également l’impression de coq-à-l’âne que peut éprouver un lecteur alternativement confronté à un souvenir d’enfance, un commentaire sur la littérature contemporaine, une fabulation relative à Henri de Corinthe, avec pour seule « transition » un saut de ligne(s) suivi de la création d’un nouvel alinéa. C’est que Robbe-Grillet n’entend pas se contenter de « raconter sa vie », mais se/nous propose plutôt une radiographie de son esprit au moment de l’écriture. Que, de la part d’un écrivain, y voisinent réminiscences, réflexions théoriques et imaginations ou fantasmes n’a somme toute rien de surprenant ; et, contrairement aux apparences comme aux idées reçues, la préservation de cette disparate est en définitive bien plus réaliste que ces artificielles reconstructions causalistes d’une existence que l’on nomme « autobiographies ».

Qu’on n’en conclue pas pour autant à l’adoption d’une écriture purement spontanéiste : le « désordre » textuel des Romanesques est en fait soigneusement agencé, pris dans les rets d’une écriture éminemment consciente d’elle-même, et mis au service des valeurs sur lesquelles repose l’œuvre robbe-grillétienne dans son ensemble. Ainsi, loin d’être l’indice de quelque pulsion anarchisante non maîtrisée, l’importance du fragmentaire dans la trilogie témoigne bien plutôt d’un refus viscéral, mais non moins lucide et polémique, du monologisme. De façon tout à fait conséquente, Robbe-Grillet, qui n’a jamais supporté l’imposition d’un unique sens à un texte, n’est pas davantage - et sans doute moins encore - prêt à tolérer une telle réduction sémantique lorsqu’il est question de sa vie. L’essentiel dans cette esthétique du fragment tient donc à la pluralité de significations qu’elle induit, par opposition au geste de fermeture et d’appauvrissement herméneutique qu’engendrerait une écriture de soi de type linéaire et logico-chronologique : un sens, et un seul, à sa vie. Peut-être conviendra-t-on alors que le formalisme qui préside à l’écriture des Romanesques n’a rien de gratuit, car les prédilections théoriciennes qui le fondent renvoient avec clarté aux préoccupations existentielles d’Alain Robbe-Grillet, qui percevait la glaciation du sens comme un processus mortifère. Ou de l’angoisse comme principe créateur.   

Le second procédé subversif mis en œuvre par Robbe-Grillet concerne la situation de l’auteur par rapport au « sujet » qu’il aborde. D’après la formule proposée par Lejeune, la question définitoire de toute autobiographie devrait, en bonne logique, être « Qui suis-je ? ». Or, dès le premier volume de sa trilogie, l’auteur des Romanesques se soustrait à l’emprise du cadre générique, en remplaçant la question attendue par cette interrogation concurrente : « Qui était Henri de Corinthe ? »7  ; avant d’ajouter : « Ce n’est probablement que dans le but - incertain - de donner à de telles questions ne serait-ce qu’un semblant de réponse, que j’ai entrepris, il y a quelque temps déjà, de rédiger cette autobiographie. »8 Ce déport est essentiel, puisque si l’identité de l’auteur et du narrateur est maintenue - c’est bien Robbe-Grillet qui s’exprime en son nom propre, sans qu’il soit besoin de faire intervenir quelque autre instance narrative -, en revanche une différence est ainsi introduite avec le « personnage » dont l’histoire va être évoquée. Du télescopage entre la question initiale et le maintien de l’étiquette générique résulte donc, dès la troisième page du Miroir qui revient, une configuration narrative sinon proprement tératologique, du moins génériquement hétérodoxe - que résumerait cette autre formule équationnelle : « auteur = narrateur ≠ personnage ». Pour le dire plus simplement, dès le début de la trilogie est ainsi instituée une tension troublante entre autobiographie et biographie - deux horizons d’attente que nous avons coutume de distinguer, et qui ici à l’inverse fusionnent. C’est précisément sur ce brouillage des cadres génériques que l’auteur insistera lui-même, en termes narratologiques, en évoquant, dans Les derniers jours de Corinthe, « [s]on entreprise auto-hétéro-biographique »9 - le choc des préfixes traduisant de façon spectaculaire la confrontation de relations de personne d’ordinaire considérées comme incompatibles.

Or, déjà passablement déstabilisante pour qui s’en tient à l’examen de la conduite du récit, cette situation le devient plus encore dès lors que l’on prend en compte - et le moyen de faire autrement ? - le statut ontologique de son objet déclaré : Corinthe. Si le narratologue risque déjà d’être réduit à quia, que dire alors du théoricien de la fiction ?... En effet, le traitement même de la figure de Henri de Corinthe apparaît des plus duplices 10. Tout d’abord, cette entité est le foyer de nombreux effets de réel, fondés sur diverses stratégies d’accréditation. L’insistance sur l’amitié de Robbe-Grillet Père et du Comte de Corinthe, ou la mention de la rencontre de ce dernier avec Conrad Heinlein, personnalité historique à l’existence avérée, incitent le lecteur à en inférer leur appartenance au même univers de réalité : le nôtre, c’est-à-dire le monde dit « réel ». Présupposition d’ailleurs confirmée par de récurrents renvois à ce qu’un historiographe nommerait l’archive : témoignages oraux ou écrits, documents dotés eux aussi d’une valeur testimoniale (par exemple correspondance), etc. Tout concourt donc en apparence à crédibiliser ou à accréditer Corinthe, c’est-à-dire à nous le faire considérer comme une personne, partageant notre mode d’être-au-monde. Si ce n’est qu’à l’inverse, le porteur de ce nom est simultanément le vecteur des plus évidents effets de fiction de la trilogie. En particulier, il apparaît comme le pôle d’aimantation, dans le cadre enchanté de la Forêt des Pertes, de presque toutes les scènes à caractère merveilleux et fantasmatique, puisque c’est autour de lui que gravite la ronde perverse des trop jolies « sorcières » ou « vampires » : Marie-Ange, Carmina, et son double anagrammatique, Manrica. Sans doute ce trouble n’est-il pas fait pour durer par-delà le temps de la lecture, et une enquête de type historien devrait sans trop de difficultés permettre de conclure à l’inexistence du Comte Henri de Corinthe - du moins dans cette « version » du monde que nous habitons… Mais l’essentiel est ailleurs : dans le flottement permanent que génère le texte entre « réalité » et « fictionalité » de Corinthe ; de sorte que cette entité paraît, au mépris des cadres qui règlent nos habitudes de réflexion et de réception, posséder deux statuts non compossibles : personne vs personnage.

Or ce scandale logique est déterminant pour qui tente de cerner l’identité générique de l’écrit robbe-grillétien, car ce qui vient d’être dit de Corinthe peut également l’être de la trilogie dont il hante les pages. Au lieu que nous pouvons d’habitude distinguer somme toute aisément, en matière d’écriture, le fictionnel du factuel, ou, pour décliner la proposition terminologique de Gérard Genette, le fictionnel du « dictionnel »11 , face aux Romanesques nous sommes dans l’incapacité de reconduire ce partage clair et par là même rassurant, puisque les volumes de la trilogie se donnent à la fois comme diction et comme fiction. A l’instar de ce qu’avait réalisé Georges Perec avec W ou le souvenir d’enfance12 , mais selon des modalités autres, et dans une perspective effectivement13 beaucoup plus « démonstrative », Alain Robbe-Grillet produit ici un écrit hybride, dont le statut demeure en définitive indécidable. Qu’il s’agisse de la situation de l’auteur ou du sujet traité, il ne convoque les codes de l’autobiographie que pour mieux les révoquer.

Aussi, plutôt que d’une intégration, c’est d’un parasitage de l’espace autobiographique qu’il convient en l’occurrence de parler - démarche où, comme l’a montré Roger-Michel Allemand, la duplicité déjà évoquée se fonde pour partie sur les ressources de la duplication 14. De tout temps, et dès Les Gommes15 , le double a certes constitué une figure privilégiée pour Robbe-Grillet, qui s’est ingénié à tirer le meilleur parti de ses effets d’inquiétante étrangeté. Or, force est de constater non seulement son insistance, mais encore sa prolifération dans les Romanesques, où elle se manifeste sur le double plan spatial et actantiel, et va jusqu’à contaminer l’origine de la parole narrative.

En régime autobiographique traditionnel, l’espace joue en effet un rôle majeur, sous la forme du topos des lieux de l’enfance, où l’évocation de l’origine « domestique » du sujet convoque le plus souvent l’image du cocon familial - le cercle tutélaire qui se referme pour couver l’enfant paraissant indissociable d’une topographie de l’intime. Si cette figure imposée du genre est bien présente dans les Romanesques, elle y fait les frais d’un double travail de sape : d’une part en raison de « la bipolarisation majeure de l’espace enfantin entre l’appartement de la rue Gassendi, à Paris, et la maison de Kerangoff, à proximité de Brest »16  ; d’autre part, et surtout, en raison d’un brouillage du cadre spatio-temporel, qui relève de la duplication, voire de la triplication. Au fil de la trilogie, l’insistance sur leurs caractéristiques onomastiques et/ou topographiques communes risque d’entraîner dans l’esprit du lecteur une confusion des demeures évoquées : Kerangoff, Ker an Dû, et Le Mesnil-au-grain. Relativement discrète, cette mise en équivalence est pourtant importante car, outre qu’elle fragilise le poncif de l’espace fondateur où le sujet (re-)trouverait à loisir le socle de sa « personnalité », elle favorise l’embrayage de la fiction (Ker an Dû) sur la diction (Kerangoff, Le Mesnil), et confirme à qui la détecte l’assimilation oblique de ces lieux aux identités confuses, sinon totalement confondues.

Or, en vertu d’une forme de contagion métonymique, ce principe d’identification(s) en série vaut a fortiori, et de façon plus clairement perceptible, pour le « personnel » des récits. Une lecture attentive des textes permet en effet de repérer nombre de ressemblances entre le Comte Henri et Robbe-Grillet Père, qui entretiennent ainsi une relation spéculaire, où chacun devient le double approximatif de l’autre. Il en va de même pour Alain Robbe-Grillet et son propre père, dont l’insistance de l’écrivain sur les caractéristiques - notamment physiologiques - communes suscite elle aussi l’impression d’une duplication, moins troublante, certes, puisqu’elle paraît respecter les « lois du sang ». Tel n’est pas le cas, en revanche, de l’assimilation d’Alain Robbe-Grillet et du Comte Henri de Corinthe17 , dont les implications ontologiquement et esthétiquement « scandaleuses » font imploser le cadre autobiographique de l’écrit où cette duplication particulièrement duplice advient. C’est précisément par le biais d’une évocation de l’espace que Robbe-Grillet instille les premiers germes de l’indécision dans l’esprit du lecteur, en multipliant les dénominateurs communs entre les descriptions de sa table de travail et de celle de Corinthe18 . On remarquera en outre qu’il ne s’agit pas là de n’importe quel espace, mais du lieu même de l’écriture, de sorte que ces notations référentielles (dans un cas) ou pseudo-référentielles (dans l’autre), se doublent d’une dimension autoréférentielle, qu’elles partagent. Il en va de même de cet outil de l’écriture qu’est le stylo plume au mécanisme défectueux, qui circule des mains de l’auteur à celles de son double fantasmatique, et vice versa 19. Enfin, par-delà ces communs dénominateurs en quelque sorte « matériels », brochant sur une ressemblance physique déjà troublante, c’est de façon beaucoup plus décisive leur conception même de l’activité autoscripturale qui rapproche Corinthe et Robbe-Grillet :

« Si le manuscrit du grand livre qu’il [Corinthe] rédigeait n’avait pas été détruit, dont nous supposons seulement qu’il contenait un mélange - mouvant lui aussi - d’autobiographie et de théorie « révolutionnaire », auquel s’ajoutait (du moins je le soupçonne) une part indéterminée de politique-fiction, pour ne pas dire de roman, nous en saurions certes davantage sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres. »20

En dépit des précautions modalisatrices, cet extrait d’Angélique ou l’Enchantement porte à son comble la dynamique de duplication, en identifiant non plus seulement les auteurs, mais leurs textes mêmes, puisque le manuscrit disparu prêté au Comte Henri se voit crédité de caractéristiques fortement similaires à celles qui singularisent la trilogie de Robbe-Grillet. En outre, loin de demeurer lettre morte, ce rapprochement informe l’écriture même des Romanesques, du moins à partir du deuxième volume, où de déconcertants phénomènes de décrochage énonciatif compliquent au plus haut point la détection de l’origine de la parole narrative. De façon récurrente, mais tout particulièrement des pages 136 à 146 d’Angélique ou l’Enchantement, « la narration glisse d’un récit où le Comte Henri est l’acteur principal, exprimé à la troisième personne du singulier, à une forme pronominale de première personne du singulier »21 . Ce passage subreptice, et/car non démarqué, d’une relation hétérodiégétique à une relation homodiégétique, est lourd de conséquences, puisque en resituant de telles séquences dans leur co-texte, on aboutit à une autre formule équationnelle : « auteur ≠ narrateur = personnage », qui déjoue donc l’orthodoxie autobiographique par un nouveau biais. Autrement dit, tout se passe ici pour le lecteur comme s’il était confronté à divers extraits du manuscrit de Corinthe, mystérieusement interpolés au sein du texte de Robbe-Grillet.

Encore les choses ne sont-elles pas si « simples », car à la suite de tels passages, le lecteur peut légitimement hésiter au moment d’identifier l’instance narrative : est-ce toujours Corinthe qui continue de s’exprimer à la première personne, ou déjà Robbe-Grillet qui assume de nouveau la parole ? Les ruses du texte nous empêchent de répondre avec assurance à une telle question, en même temps qu’elles remettent en cause sa pertinence, puisque Corinthe apparaît en définitive comme un « alter ego - alter écho »22 de Robbe-Grillet lui-même, à moins que ce ne soit l’inverse - comme le suggère ce membre de phrase aux accents métaleptiques 23 : « Une seule hypothèse acceptable vient à l’esprit de Corinthe, et au mien du même coup […] »24 , qui paraît poser l’antécédence de la créature sur son créateur, brouillant ainsi la hiérarchie censée présider à leurs relations.

Espace, actants, et jusqu’à l’énonciation sont donc pris dans un jeu de duplications en chaîne, dont le traitement duplice finit par contrarier toute certitude, notamment représentative, introduisant par là même un écart dirimant avec le discours véridictionnel en vigueur dans l’autobiographie canonique. L’inquiétante étrangeté suscitée par la prolifération des doubles contribue ainsi à « oniriser » et à fictionaliser l’écrit robbe-grillétien, sans souci des compartimentations génériques.

De fait, échos spéculaires entre personnages et brouillage de l’origine énonciative étaient, dès les romans des années 50, déjà des constantes de l’écriture robbe-grillétienne, au même titre que divers autres procédés qui avaient fini par constituer sa marque de fabrique - perdant par là même au fil du temps une bonne part de leur potentiel contestataire et novateur. Mais, au tournant des années 80-90, leur résurgence dans un autre cadre générique suffit à les doter d’une nouvelle jeunesse comme d’une nouvelle vigueur. Il en va de même du procédé de la métalepse narrative 25, connu pour faire « entorse(s) au pacte de la représentation »26 . Chez Robbe-Grillet, cette transgression de la frontière de la narration ou de la représentation elle-même transite le plus souvent par la convocation d’artefacts en abyme27  : gravures, photographies, illustrations, ou tableaux, dont les frontières avec la diégèse qui les englobe s’estompe, de sorte que le lecteur ne sait plus s’il est confronté à un personnage de premier degré (intradiégétique) ou de deuxième degré (métadiégétique) - comme dans Dans le labyrinthe28 , La Maison de rendez-vous29 , ou Projet pour une révolution à New York30 . On aurait pu croire ce procédé réservé à la fiction… or il effectue un spectaculaire retour dans les Romanesques, à la faveur de l’évocation de divers tableaux, en particulier le « tableau symboliste » ornant le bureau de Robbe-Grillet, dont le sujet entretient d’intrigantes similitudes avec les aventures érotico-militaires qui surviennent dans la Forêt des Pertes31 . Le statut (iconique ou textuel) de nombreuses représentations est ainsi frappé d’incertitude, contrairement au requisit de la doxa autobiographique. La reprise du procédé flirte même avec l’auto-caricature dans Les derniers jours de Corinthe, lors du morceau de bravoure textualiste que constitue la description de l’étiquette d’une bouteille de vin 32, Robbe-Grillet se présentant tour à tour comme observateur extérieur et comme personnage représenté en abyme. Il est vrai qu’il ne s’agit pas du premier cru venu, mais d’un « Château-Lavue Roussel »33 … Est-il besoin de rappeler qu’une section (intitulée « Eléments d’une anthologie moderne ») de Pour un nouveau roman34  contenait un hommage à Raymond Roussel, auteur d’un récit en vers fortement descriptif, intitulé La Vue35  ?

Avec ce dernier exemple, on assiste à la convergence des ressources de la métalepse narrative et de l’intertextualité, autre procédé cher au romancier Robbe-Grillet - que l’on se souvienne par exemple du rôle majeur joué par l’Œdipe-Roi de Sophocle dans la composition et l’écriture des Gommes.  Certes, la plupart des autobiographies, même traditionnelles, du moins lorsqu’elles sont le fait d’écrivains, se révèlent peu ou prou intertextuelles : d’une part parce que l’évocation des lectures d’enfance et/ou de jeunesse constitue une nouvelle figure imposée du genre ; d’autre part parce que l’autobiographe réfère d’ordinaire sa propre pratique d’écriture à celle de ses prédécesseurs, tantôt pour s’en réclamer, tantôt pour s’en démarquer. Si ces deux facteurs somme toute attendus sont bien présents dans les Romanesques, on y assiste en outre de façon beaucoup plus surprenante à une remarquable prolifération intertextuelle tous azimuts, qui excède très largement les habitudes en la matière. Loin de se contenter de faire retour sur quelques-unes de ses lectures enfantines, ou de confronter son entreprise autoscripturale aux tentatives de ses devanciers, Robbe-Grillet fonde assez largement l’écriture de sa trilogie sur la Bibliothèque36 , multipliant les « clins d’œil » lettrés tant aux légendes arthuriennes qu’aux écrits de Chateaubriand ou de Barbey d’Aurevilly, entre autres multiples exemples. En maintes occasions, il ne se limite d’ailleurs pas au simple jeu de renvois auquel correspondraient allusions et citations, et va jusqu’à réécrire - sans le signaler - tel ou tel passage de textes antérieurs ; de sorte qu’il flirte alors, ne fût-ce que ponctuellement, avec l’hypertextualité. En outre, ce déjà lu dont il s’empare pour élaborer sa trilogie inclut ses propres œuvres, dans un geste « auto-intertextuel », qui relève par surcroît d’une forme de transfictionnalité37 . En atteste par exemple, dans Les derniers jours de Corinthe, la récurrence sinon obsessionnelle, du moins obsédante, du « fin soulier de bal, aux paillettes métalliques couleur d’océan »38 , que les lecteurs avaient déjà pu repérer dans Souvenirs du triangle d’or39 comme dans la plupart des fictions des années 70. La circulation de ce composant diégétique d’un roman à l’autre était déjà en elle-même fascinante, qui permettait de supposer que, par-delà les contingences aboutissant à la publication de textes séparés, un même univers était sans relâche exploré par l’auteur - ce qui correspond bien à une variante de ce que Richard Saint-Gelais propose de nommer la « transfictionnalité ». Or la résurgence de cet objet fictionnel dans un contexte « autobiographique » fragilise bien évidemment le statut de ce qui est narré dans Les derniers jours de Corinthe, et incite à y identifier une nouvelle diégèse - sauf à considérer que les fictions antérieures relevaient de la « diction », hypothèse à laquelle nul, sans doute, ne souscrirait sérieusement. Cette surprenante « migration » de la chaussure de bal permet ainsi de troubler le statut ontologique des éléments représentés dans les Romanesques, brouillant une fois encore l’appartenance générique de la trilogie.

Les procédés intertextuels, hypertextuels et transfictionnels possèdent, on le voit, une valeur de commentaires « à demi mots » sur le texte au sein duquel ils se déploient, et participent par là même à quelque degré d’un geste métatextuel40 . De façon notoire, cette dimension autocommentative constituait dès l’origine l’un des traits majeurs du « Nouveau Roman » en général, et de l’œuvre de Robbe-Grillet en particulier. Or l’omniprésence du métatextuel dans les Romanesques introduit un nouvel écart déterminant avec certaines conceptions de l’écriture autobiographique. Il est certes fréquent qu’un autobiographe soit ponctuellement conduit à faire retour sur son entreprise, et à commenter sa propre activité d’écriture - comme Rousseau lui-même en ouverture des Confessions41 .Mais tout est ici affaire de « dosage », car si ces séquences métatextuelles se multiplient, elles risquent alors de supplanter voire d’occulter aux yeux du lecteur « l’histoire de la personnalité » dont il est censé s’agir. L’histoire du genre incite d’ailleurs, au nom de ce principe, à opérer un distinguo entre autobiographies historiques, centrées sur le « je » de l’énoncé (comme Les Mots de Sartre42 ), et autobiographies discursives, centrées sur le « je » de l’énonciation (comme Vie de Henry Brulard de Stendhal43 ). Mais, comme Perec avant lui, Robbe-Grillet va beaucoup plus loin, et multiplie à tel point les commentaires métatextuels au présent de l’écriture, qu’il faudrait, à propos de sa trilogie, parler d’une « autobiographie » métadiscursive et hypercritique - puisque la plupart de ces observations autoréflexives sont en fait autant de dénonciations des apories consubstantielles au genre. Non seulement la dimension rétrospective du récit est ainsi mise à mal, mais, par un effet de surenchère, c’est la viabilité même de l’autobiographie qui est contestée depuis les franges métatextuelles de l’écrit. A l’échelle de la trilogie se manifeste donc une remarquable convergence entre ce que les textes font et ce que les textes disent - ce qu’il convient à présent d’établir.

Ce que les textes disent
On peut tout d’abord remarquer que les textes parlent d’eux-mêmes depuis leurs seuils - ce que les poéticiens nomment le péritexte44 - : ainsi des textes de 4ème de couverture qui, fondés sur une dialectique de l’information et de la séduction, ne peuvent certes trop en dire, mais esquissent tout de même dans les grandes lignes une forme de « mode d’emploi » du livre, dont ils soulignent les principales caractéristiques comme les ambiguïtés génériques. Ainsi, également, de la table des matières, dont la valeur d’indice a déjà été signalée. Ainsi, enfin, du décalage introduit par le surtitre de Romanesques, qui en 1987 apparaît avant la page de faux-titre d’Angélique ou l’Enchantement, à la fin de la rubrique « Ouvrages d’Alain Robbe-Grillet ». Mais il s’agit là de cas particuliers, dans la mesure où ces commentaires se déploient depuis la périphérie du livre.

Différemment, le trait saillant de la trilogie tient à la présence à l’intérieur de chacun des volumes qui la constituent de multiples séquences autocommentatives, qui correspondent pour leur part à la lettre à la définition que Bernard Magné propose du métatextuel : « […] l’ensemble des moyens dont dispose un texte pour assurer, dans son corps même, la désignation de tout ou partie de ses mécanismes constitutifs […], soit dénotativement [c’est-à-dire explicitement], soit connotativement [c’est-à-dire implicitement] »45 . Encore convient-il d’ajouter que, dans le cas des Romanesques, ces commentaires internes aux textes portent non seulement sur leurs « mécanismes constitutifs », mais aussi sur l’écart générique qui en résulte, comme sur les raisons d’être de cette écriture spécifique.

De cette dynamique métatextuelle relève par exemple la mention par l’auteur, du sein de chaque texte, de « l’étiquette générique » censée le définir. Or le moins que l’on puisse dire est que, sur ce point, le lecteur est confronté à d’importants flottements, puisque Robbe-Grillet, entre autres dénominations, parle d’« autobiographie »46 , d’« autoportrait »47 , de « mémoires »48 , de « chroniques49  », etc., termes à la fois mutuellement incompatibles et en décalage manifeste avec le caractère atypique de sa pratique autoscripturale. Aussi, sur fond de provocation, peut-on y voir autant de « leurres », ironiquement concurrencés par d’autres désignations plus judicieuses comme « errements autofictionnels »50 , « entreprise auto-hétéro-biographique »51 , « Nouvelle Autobiographie »52 , « autobiographie consciente »53 , « autobiographie lucide »54 , etc. Mais, plus que le choix de telle ou telle « étiquette », ce qui importe ici est la pluralité même des dénominations, qui signale le caractère inédit et hétérodoxe de l’entreprise, déjouant par là même les tentatives de fixation générique.

Précisément, cette idée d’un écart générique intentionnel, c’est-à-dire d’une rupture avisée avec les canons de l’autobiographie, fait l’objet de plusieurs des plus remarquables séquences métatextuelles des Romanesques, comme celle-ci :

« Il en irait donc pour les événements de notre passé comme pour ceux du présent : les arrêter n’est pas possible. Instants fragiles, aussi soudainement apparus que vite effacés, nous ne pouvons ni les tenir immobiles ni en fixer la trace de façon définitive, ni les réunir en une durée continue au sein d’organisations causales à sens unique et sans faille. Ainsi ne saurais-je partager l’avis de Philippe Lejeune concernant la mise en texte des souvenirs. « L’exigence de signification est le principe positif et premier, dit-il, de la quête autobiographique. » Non, non ! Certainement pas ! Cet axiome n’est valable, de toute évidence, ni pour le manuscrit dont la rédaction a occupé Corinthe pendant les deux dernières décennies de son existence, ni pour ma propre entreprise actuelle.

Il ne peut s’agir pour moi, en particulier, d’attribuer quelque unité profonde à ces instants de diamant précaires, ou ensuite à ces pans de brume, qui refusent les uns comme les autres l’emploi du passé historique, seul gage certifié de cohérence, de continuité, de chronologie, de causalité, de non-contradiction. J’ai beau m’y essayer, ça ne prend pas : « On pensa qu’un pilleur de cadavre… un pilleur d’épave… », etc. (voir plus haut). Bien vite, je dois revenir à l’indéfini et à l’instantané. En même temps que la cohérence du monde, s’est effondrée la compétence du narrateur. La patiente écriture des fragments qui demeurent (provisoirement, je le sais) ne peut en aucun cas considérer mon passé comme producteur de signification (un sens à ma vie), mais au contraire comme producteur de récit : un devenir à mon projet d’écrivain. Ce qui est à la fois plus honnête et plus exaltant.

Aussi, je vois très peu de différences entre mon travail de romancier et celui-ci, plus récent, d’autobiographe. »55

Ce long passage peut, à plus d’un titre, paraître crucial. Tout d’abord, parce que Robbe-Grillet y fait ouvertement sécession avec l’orthodoxie autobiographique, récusée en la personne de son plus illustre spécialiste, Philippe Lejeune ; ensuite parce qu’il justifie cette rupture par ce qu’il perçoit comme l’inanité, dans le contexte contemporain, de la reconstruction chronologique et monosémique d’un vécu biographique par essence évanescent ; enfin parce que, sur cette base, il relativise l’écart censé séparer ses activités de romancier et d’écrivain de soi. Au risque assumé d’une certaine pesanteur, une telle incidente « théorique » présente l’avantage d’aider le lecteur à cerner les tenants et les aboutissants d’une entreprise autoscripturale qui, en l’absence d’explications de ce type, aurait risqué de le dérouter durablement, en raison de son caractère profondément atypique. Volume après volume, les Romanesques intègrent ainsi, sous une forme diffractée et répétée, ce que j’ai à plusieurs reprises nommé leur « mode d’emploi » : simultanément, chacun de ces livres dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit, à la croisée du textuel et du métatextuel.

Pour autant, que penser de l’argumentation déployée par Robbe-Grillet pour contester la pertinence de l’autobiographie traditionnelle à la fin du 20ème siècle ? Il ne saurait certes passer pour un théoricien, mais sa lucidité de praticien de l’écriture lui permet ici de rejoindre, du moins pour partie, la position de certains universitaires spécialistes de la question des écritures intimes. En particulier, la plupart des séquences métatextuelles au cours desquelles l’auteur des Romanesques taxe l’autobiographie canonique d’obsolescence rejoignent - aux accents polémiques près - la distinction qu’opère Laurent Jenny56 entre représentation de soi et figuration de soi. En effet, face à la notion de moi, dont la dimension historique ne doit pas être perdue de vue, car elle émerge de façon très progressive à partir de la fin du 16ème siècle, avec Montaigne et Descartes, deux attitudes contrastées sont envisageables. Tout d’abord considérer le moi comme une entité a priori, autonome, et pourvue d’une existence préalable à toute tentative pour en rendre compte dans et par l’écriture. Dans cette perspective, l’écriture intime relèverait donc d’une littérale re-présentation d’un moi préexistant. Ensuite, et à l’inverse, la figuration repose sur la conviction qu’en la matière il n’existe pas de vérité préétablie, dont il serait possible de rendre compte rétrospectivement en toute objectivité, mais que le discours constitue un acte créateur du moi - conformément à l’étymologie latine, puisque le verbe « fingere » signifie « façonner » ou « modeler ». Pour affiner cette distinction, on peut ajouter que la figuration de soi, ou « autofiguration », « ne copie pas mais donne forme »57 , et qu’elle « désigne la réalité qu’elle vise en la saisissant sous certains de ses aspects, sans [prétendre] en épuiser la totalité »58 .

Au vu de ces définitions, la position défendue par Robbe-Grillet correspond donc à une condamnation de la représentation de soi, et par contraste à une apologie de la figuration de soi. Ce positionnement apparaît avec une clarté accrue lorsque, à la suite de Laurent Jenny, on s’intéresse à la multiplicité des facteurs qui font obstacle à une expression littérale du moi. Le moi peut en effet paraître inconstant, et par là même inconsistant, tant il est soumis à des fluctuations qui l’altèrent de minute en minute - comme le signalait déjà Montaigne dans les Essais. Il est également pluriel, ou multiple, en synchronie cette fois, comme l’ont montré à la fois Nietzsche et Freud, avec la théorie du « moi clivé » (entre plusieurs instances : le moi, le surmoi et le ça). En outre, selon Bergson, il existerait une différence qualitative entre le vécu intérieur, continu, et les signes du langage, fondamentalement discontinus, au moyen desquels on prétend en rendre compte. A quoi s’ajoute une autre différence de nature, entre la vie intérieure, simultanée et stratifiée, et la linéarité du langage. Par surcroît, comme le signale Auguste Comte, le moi possède un caractère inobservable, puisque en introduisant une médiation, l’activité introspective modifie la réalité intime que l’on ambitionne d’appréhender. Telle est également l’opinion de Georges Gusdorf, qui estime que l’auto-observation fait passer le vécu informe à l’état de forme.

Or certains de ces obstacles sont à l’évidence considérablement renforcés lorsque intervient le prisme déformant de l’écriture, qui modifie plus profondément encore le moi. En particulier, survient alors un passage de l’inconsistance du vécu à la consistance de l’écrit, qui provoque ainsi un effet de figement de l’existence. L’écriture de soi renforce donc tantôt volontairement, tantôt involontairement, les altérations déjà inhérentes à l’introspection. Des modifications intentionnelles relèvent certains projets qui sous-tendent les écritures intimes : se connaître, comme Stendhal, s’amender, comme Saint-Augustin, discipliner son existence selon un projet, comme Amiel. Mais l’écrivain de soi s’expose aussi à diverses altérations passivement subies de son moi, d’une part parce que le geste autoscriptural produit une schize entre un moi-témoin et un moi-objet, qui risque de compromettre toute tentative de réunification ; d’autre part parce que, dans un souci d’intelligibilité, même l’expérience la plus intime est vouée à être exprimée dans les mots du langage commun, au risque d’une notable déperdition. Encore cette liste est-elle loin de pouvoir passer pour exhaustive : il conviendrait d’y ajouter la faillibilité de la mémoire, les déformations générées par l’inconscient, la résistance du langage (opaque et polysémique), qui contrarient à des degrés divers la volonté de sincérité de l’écrivain de soi, en particulier de l’autobiographe. Bref, on constate que les obstacles à une expression littérale du moi, c’est-à-dire à sa représentation, sont légion.

S’il importait d’insister sur ces nombreuses apories 59, c’est parce qu’elles fournissent la matière de la majorité des séquences métatextuelles des Romanesques. A travers la figure de Philippe Lejeune, qu’il utilise - de façon d’ailleurs à la fois partiellement inexacte et injuste - comme bouc émissaire, c’est en fait la possibilité même d’une représentation de soi que Robbe-Grillet entend récuser, en raison des valeurs et plus largement de l’épistémè qui la fondent. A contrario, même s’il n’emploie pas ce terme, il milite très clairement en faveur d’une figuration de soi - il faudrait même aller, dans son cas, jusqu’à parler d’autoscription, tant il présente avec insistance, à l’occasion de ses commentaires métatextuels, l’écriture comme un acte créateur de son moi. En cela, comme on l’a vu, il s’inscrit pleinement dans son époque, marquée par une ontologie du doute, elle-même conséquence à la fois de l’Histoire (la guerre, les camps) et de l’évolution des pensées du sujet - sans négliger, sur un plan plus général, les multiples révolutions épistémologiques survenues au cours du 20ème siècle. Pour dire ce manque d’être, simultanément expérience intime et signe des temps, Robbe-Grillet convoque ses références coutumières à la philosophie allemande, notamment la lecture heideggerienne de la tétralogie de Wagner60 . Sur fond d’homophonies ludiques (l’or du Rhin : le fleuve ; l’or du rein : l’organe, ici associé à la sexualité ; l’or du rien : le néant), l’évocation de l’anneau des Niebelungen, qui tire paradoxalement son existence de son vide central, permet à l’écrivain de prévenir d’éventuelles accusations de formalisme gratuit, tout en exploitant artistiquement les résonances de cet intertexte supplémentaire. Ce que les Romanesques perdent ainsi en rigueur théorique, elles le gagnent en densité imaginaire. Précision d’importance, car ce qui devrait primer à la lecture de la trilogie n’est pas tant la pertinence (d’ailleurs parfois douteuse) des développements « savants » (poétologiques, sociologiques ou philosophiques) que le réseau des harmoniques qui se tisse entre ces séquences réflexives et les autres constituants textuels : souvenirs et anecdotes biographiques (auto- ou non), réminiscences littéraires et culturelles, fantasmes, fabulations. Car tel est le matériau composite constitutif du moi qui  se découvre ainsi, c’est-à-dire à la fois s’expose et s’identifie, depuis l’activité scripturale même à laquelle il s’adonne.

En conclusion de sa réflexion, Laurent Jenny insiste sur le fait que, si la figuration de soi peut choisir au sein d’un réservoir de possibilités discursives déjà répertoriées (autobiographie, autoportrait, journal intime, autofiction, etc.), elle n’en est pas moins « presque par excellence l’occasion d’un déplacement et d’une réinvention des genres »61 . Cette opinion est amplement corroborée par les Romanesques : c’est sa conscience aiguë des apories minant l’utopique représentation de soi qui voue Robbe-Grillet à l’invention d’une nouvelle voie autofigurative, par hybridation de genres préexistants.

Ceci est-il une autofiction (et à quel point cela importe-t-il ?) ?
Mais la nouveauté de cette entreprise autoscripturale n’est-elle pas sujette à caution ? En effet, pour certains, les Romanesques constitueraient un exemple parmi d’autres d’autofiction, ce qui, dans le meilleur des cas, inciterait à  relativiser partiellement l’originalité de la trilogie.  Qu’en est-il ? Le problème tient ici à l’excessive ductilité du signifiant « autofiction », qui risque de vouer cette appellation plus ou mois contrôlée au rôle peu enviable de fourre-tout générique. Pour éviter une si fâcheuse dérive, il importe donc de s’accorder sur les définitions et/ou les termes de comparaison que l’on adopte62 . Ainsi peut-on tout d’abord décider de s’en tenir à la définition que proposait Serge Doubrovsky, l’inventeur du terme, en 4ème de couverture de Fils63  : « Fiction, d’événements et de faits strictement réels ; si l’on veut, autofiction, d’avoir confié le langage d’une aventure à l’aventure du langage, hors sagesse et hors syntaxe du roman, traditionnel ou nouveau. » (Prière d’insérer) ; en insistant sur l’écart avec le genre-phare des écritures intimes : « Autobiographie ? Non, c’est un privilège réservé aux importants de ce monde, au soir de leur vie, et dans un beau style. » (Idem). A l’examen, au-delà d’un commun rejet de l’autobiographie canonique, entre les démarches de Doubrovsky et de Robbe-Grillet, ce sont les différences qui paraissent primer. D’une part sur le plan du style : Doubrovsky refuse en effet toute aspiration au « bien écrire », à ses yeux suspecte en raison même des prétentions artistiques qu’elle traduit. Différemment, quand bien même il dénonce lui aussi le style autobiographique comme falsification, Robbe-Grillet, en rupture avec l’écriture dépouillée de ses débuts, adopte dans la trilogie un style qui concentre jusqu’à la caricature les traits définitoires - aux yeux de la doxa - du style littéraire : longues phrases construites par concaténation de propositions relatives, surcharge adjectivale et adverbiale, nombreuses métaphores, etc. Sans doute s’agit-il là de retourner ses propres armes contre son ennemi déclaré, mais il n’en reste pas moins que, stylistiquement parlant, les Romanesques se situent aux antipodes de cette manière d’« autobiographie de tout le monde »64 que prônait l’auteur de Fils.

D’autre part, c’est leur attitude respective à l’égard de la psychanalyse qui tient lieu de principal facteur discriminant entre les démarches des deux écrivains. En effet, la conception doubrovskienne de l’écriture est très fortement influencée par la technique des associations libres en vigueur dans la cure psychanalytique freudienne, et certains passages de Fils et des volumes suivants65 consistent même en transcriptions des séances d’analyse suivies par l’auteur. Aussi le « père » de l’autofiction esquisse-t-il en définitive une forme d’« autobiographie de l’inconscient »66 , où le ça trouverait à s’exprimer librement, une fois abjurée la traditionnelle volonté de maîtrise du moi. Or rien n’est plus étranger aux convictions théoriques comme aux prédilections esthétiques de l’auteur des Romanesques. L’hostilité notoire de Robbe-Grillet à l’encontre de la psychanalyse freudienne se voit en effet spectaculairement confirmée dans la trilogie : dénonciation du « lassant credo du papa-maman-pénis »67 , multiplication de « pièges à psycho-machine »68 - comme les deux images antagoniques du sexe féminin au début du Miroir qui revient69 -, ironiquement désignés à l’attention des psychanalystes, amateurs aussi bien que professionnels, parodie de scène originaire sur fond d’aveux truqués, à la fin d’Angélique ou l’Enchantement70 , en constituent autant d’exemples, parmi d’autres. Quant à l’apparente logique « associationniste » des textes, on a vu qu’elle ne constituait en définitive qu’un trompe-l’œil, tant les structures au sein desquelles elle s’intègre sont rigoureusement concertées. Sans doute Robbe-Grillet concède-t-il l’existence de l’inconscient, mais dans une perspective qui doit plus aux travaux de Jacques Lacan71 qu’à ceux de Sigmund Freud. De même, le stade du miroir72 , auquel le titre du premier volume de la trilogie paraît faire allusion, a-t-il été théorisé par ce « successeur dissident » de Freud. Ce déport est somme toute aisément compréhensible, puisque ce que Robbe-Grillet ne supporte pas dans la psychanalyse freudienne orthodoxe, c’est ce qu’il perçoit comme son dogmatisme, voire son totalitarisme. Plus complexe, plus souple, moins normative, et plus en phase avec les recherches linguistiques des années 60-70, la pensée de Lacan se substitue donc avantageusement pour lui à celle de Freud. Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse du style ou de la relation à la psychanalyse, les démarches de Doubrovsky et de Robbe-Grillet se distinguent clairement l’une de l’autre, voire s’opposent. On pourrait donc, avec toutes les apparences du bon droit, en inférer que le terme d’autofiction est impropre à caractériser les Romanesques.

Toutefois, cette étiquette générique a donné lieu à d’autres définitions, plus récentes, par exemple celles de Vincent Colonna73 et de Marie Darrieussecq74 , qui incitent à nuancer ce diagnostic peut-être imprudent. En effet, selon ces chercheurs, l’appartenance à l’autofiction n’est pas tant fonction du style de l’écrit ou de la place dévolue à la (plus ou moins) libre « dictée »  de l’inconscient que de sa configuration énonciative et de sa relation spécifique à la problématique de la référentialité. En particulier, relèveraient de l’autofiction les récits de soi qui ne souscrivent plus à la triple identité de l’auteur, du narrateur et du personnage, définitoire de l’autobiographie. Or, nous l’avons vu, tel est précisément le cas des Romanesques, dont la structure énonciative doit être définie au moyen de formules concurrentes : « auteur = narrateur ≠ personnage », lorsque Robbe-Grillet tente de répondre à la question « Qui était Henri de Corinthe ? », « auteur ≠ narrateur = personnage », lorsque Corinthe semble ponctuellement assumer la narration de ses propres aventures. En outre, compte tenu du brouillage qui affecte l’origine de la parole narrative, une formule telle que « auteur ≠ narrateur ≠ personnage » ne peut être définitivement écartée, puisque, à ce compte, rien n’interdit de penser que Corinthe narre certains épisodes où il n’est pas présent en tant que personnage… Ce traitement déceptif de la configuration narrative constitue donc un premier dénominateur commun aux Romanesques et à  l’autofiction, ainsi redéfinie.

Il en va de même en termes d’effets : si l’on souscrit à la définition de l’autofiction comme fictionalisation de l’expérience vécue, que propose Vincent Colonna, alors telle est bien, à l’évidence, la conséquence la plus remarquable du vertigineux parasitage de la scène énonciative auquel s’adonne Robbe-Grillet dans la trilogie.
Enfin, à ces deux facteurs de rapprochement, voire d’appartenance, il convient d’en ajouter un troisième, qui relève du traitement de l’acte illocutoire autofictionnel. Selon Marie Darrieussecq, en régime autobiographique courant, cet acte illocutoire recouvre simultanément une assertion et une demande de croyance - puisque l’auteur, tout à la fois, s’engage à dire la vérité, et demande à ses lecteurs de souscrire à la véracité de son propos, c’est-à-dire d’y adhérer. En revanche, l’acte illocutoire de l’autofiction est toujours double, mais paradoxal et contradictoire75 . Autrement dit, l’auteur d’autofiction, de façon simultanée, affirme que ce qu’il raconte est vrai, et incite le lecteur à ne pas croire à la véracité de ce qu’il raconte - du moins le met en garde contre une croyance aveugle en son histoire. L’acte illocutoire autofictionnel relèverait donc contradictoirement du sérieux et de la feintise, ce qui constitue un double bind. En conséquence, le lecteur est au rouet, puisqu’il lui devient impossible, du moins sans chercher secours au-delà des frontières du texte, de départager les éléments du récit qui relèvent du factuel (ou du référentiel) de ceux qui relèvent du fictionnel. Tel est exemplairement le cas des Romanesques, dont la dimension intrinsèquement contradictoire de l’acte illocutoire nous interdit par exemple - aussi longtemps du moins que nous ne nous livrons pas à une enquête périphérique de type historien - d’identifier avec assurance le statut ontologique de Corinthe. Et cette ombre portée a tôt fait de s’étendre à l’ensemble des éléments de l’histoire, pour les voiler d’un nimbe d’indécidabilité.

Alors, en définitive, quid des Romanesques ? Autofiction, ou non ? Non, si l’on en reste aux définitions et à l’exemple de Doubrovsky ; oui, si l’on en tient plutôt pour la validité des paramètres retenus par Colonna et Darrieussecq. A condition toutefois de préciser que les stratégies permettant de déjouer le pacte autobiographique et de fragiliser la frontière entre factuel et fictionnel sont si nombreuses et variées qu’en définitive, sous la bannière de l’autofiction, risquent de se voir regroupés des écrits dont les différences sont plus marquantes que les ressemblances - sans même évoquer la question de l’évaluation esthétique, tant, à cette enseigne, le « meilleur » côtoie le « pire »76 .

« Etre ou ne pas être une autofiction ? » En dernière analyse, la question peut donc paraître d’une pertinence et d’un intérêt limités, qui relève d’un désir taxinomique, somme toute contingent. A la rigueur, dans le cas des Romanesques, peu importe l’étiquette générique retenue : l’essentiel y tient à la remise en cause des fondements de l’autobiographie canonique, du moins de sa pratique naïve, fondée sur la croyance en la possibilité d’une représentation du moi, c’est-à-dire de son expression littérale. Aussi, pour exprimer cette bascule dans une perspective autofigurative, peut-on préférer l’appellation d’« autobiographie problématique », qui dit bien le rapport ambivalent de la trilogie à l’horizon d’attente que, simultanément, elle convoque et révoque. Toutefois, de nouveau, l’important n’est pas l’étiquette mais la fonction que l’on peut assigner à une telle démarche. Or, sur ce plan, et contrairement à ce qu’affirmeraient les détracteurs de Robbe-Grillet, l’écart à la norme générique sur lequel reposent les Romanesques n’est pas réductible à un formalisme gratuit, à verser au passif de quelque maniérisme postmoderniste. Bien au contraire, le caractère anomique d’une telle pratique autoscripturale remplit une fonction heuristique : permettre au sujet de découvrir qui il est, dans et par l’écriture, seul moyen dont il dispose pour parvenir à cette fin. « Comment certains de mes livres m’ont écrit » constituerait ainsi une formule possible pour emblématiser cette rupture avec les conceptions essentialistes du moi et de l’écriture intime - rupture fondée sur des valeurs existentielles, en phase avec l’ontologie du doute caractéristique de l’époque contemporaine. Si Robbe-Grillet ne se sent plus autorisé à raconter sa vie comme Sartre pouvait encore le faire, c’est que, durant les années 80 et 90, et a fortiori aujourd’hui, à la question « qu’est-ce que c’est, moi ? », il n’est plus possible de répondre avec une tranquille assurance - car désormais, le manque d’être est la chose au monde la mieux partagée. « Moi », c’est tout à la fois, appréhendés depuis un ici et un maintenant qu’il ne saurait être question d’occulter, des souvenirs d’événements vécus, de récits entendus, de livres lus, de photographies et de films vus, d’artefacts culturels en tout genre, de rêves, de fantasmes (érotiques ou non), de fabulations, qui ne se laissent pas toujours départager avec certitude. Ainsi s’expliquent les multiples lignes de fiction qui traversent les Romanesques, lieu d’une véritable invention de l’auteur, à laquelle le lecteur est invité à apporter son concours ; puisque cette figure naît au point de rencontre des activités constructives de l’écrivain et de ceux qui le lisent - ce qui parfois ne va certes pas sans frictions.

Le « miroir qui revient » est donc un miroir brisé, diffractant la réflexion du moi en ses multiples éclats. Mais, ne nous y trompons pas : le visage de Robbe-Grillet n’est pas le seul à s’y refléter ; et nous pourrions fort bien y reconnaître le nôtre. Sans doute tout lecteur d’un livre est-il aussi le lecteur de lui-même77 , mais, plus que d’autres, certains textes l’aident à le devenir. Ainsi en va-t-il, pour peu bien sûr que l’on parvienne à surmonter leurs aspérités, à éviter leurs chausse-trapes, à déjouer leurs ruses, des Romanesques, et plus généralement de l’œuvre de Robbe-Grillet, en raison même de l’importance qu’il y accorde à l’imaginaire, Alpha et Omega de sa création. Densité imaginaire des représentations, et commentaires sur l’importance de cette notion dans l’économie de notre psychisme - dans notre rapport à nous-mêmes aussi bien qu’au monde - confèrent dès lors à cette œuvre une dimension en quelque sorte anthropologique. La trilogie, en particulier, en raison même de cette tournure ponctuellement « didactique » que d’aucuns blâment, et du jeu d’interrelations qu’elle entretient avec les autres composants textuels, peut nous aider à répondre à notre tour à ces deux questions effectivement fondamentales : « Qu’est-ce que c’est, moi ? Et qu’est-ce que je fais là ? »78 Car la ruine du système autobiographique qui la fonde n’est pas destruction sans lendemain, mais tout au contraire base d’un renouveau ; de même que la mise à mort concomitante de Sa Majesté Le Sujet : le moi est mort, vive le moi ! Comme l’écrit Robbe-Grillet, « Construire sur des ruines […], c’est […] prendre l’état des notions ruinées et la notion même de ruine comme ferment d’une existence à inventer, légère et vacante. » Dans notre propre intérêt, puissions-nous l’entendre. 

 

 

 

1 Alain Robbe-Grillet, Le Miroir qui revient, Paris, Ed. de Minuit, 1984 ;  Angélique ou l’Enchantement, Paris, Ed. de Minuit, 1987 ; Les derniers jours de Corinthe, Paris, Ed. de Minuit, 1994.

2 Cet article, qui peut se lire de façon autonome, n’en fait pas moins suite à « Le moi qui revient (Un exemple d’autofiguration : les Romanesques d’Alain Robbe-Grillet I)) », antérieurement paru dans Vox-poetica. Ces deux textes ont été à l’origine présentés sous forme de conférences à l’Université Libre de Milan (IULM), au mois d’avril 2012. Que Laura Brignoli, qui m’a permis d’en disposer, lise ici l’expression renouvelée de mes sincères remerciements. Merci également à Alexandre Prstojevic et David Vrydaghs, respectivement directeurs de Vox-poetica et Enjeux, qui ont accepté que ces études paraissent à la fois dans ces deux revues.

3 Philippe Lejeune, L’Autobiographie en France, Paris, Armand Colin, 1971, p. 10. Voir aussi, du même auteur, Le Pacte autobiographique, Paris, Ed. du Seuil, 1975, coll. « Poétique ».

4 Raymond Queneau, Chêne et chien, Paris, Gallimard, 1937 ; réédition dans la collection « Gallimard Poésie ».

5 Laurent Jenny, « Méthodes et problèmes. La figuration de soi » (2003), p. 10. Ce texte peut être consulté à l’adresse suivante :
http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/figurationsoi/index.html
Date de consultation : le 06 octobre 2012. Les pages qui suivent contiennent de fréquents emprunts à ce cours (en ligne) de Laurent Jenny.
Dans un souci de précision, il faut ajouter que, selon Laurent Jenny, cette « saisie logico-temporelle du moi » est définitoire de l’autoportrait. Mais, pour ma part, j’estime qu’elle constitue également une caractéristique présente dans la plupart des autobiographies « traditionnelles ».

6 Qu’on se gardera bien, pour autant, d’assimiler à la pratique psychanalytique des « associations libres », l’associationnisme robbe-grillétien étant on ne peut plus conscient et maîtrisé, on le verra.

7 Le Miroir qui revient, op.  cit., p. 7.

8 Idem, p. 9.

9 Les derniers jours de Corinthe, op. cit., p. 190.

10 Comme l’a fort bien montré Roger-Michel Allemand, Duplications et  duplicité dans les « Romanesques » d’Alain Robbe-Grillet, Paris, Minard, 1991, coll. « Archives des lettres modernes ».

11 Si ma mémoire est bonne, Gérard Genette se contente pour sa part de distinguer fiction et diction (dans Fiction et diction, Paris, Ed. du Seuil, 1991, coll. « Poétique »). C’est donc à moi seul qu’incombe, pour les besoins de la cause, la paternité de l’adjectif « dictionnel », certes guère euphonique, mais qui, on en conviendra, présente du moins l’avantage d’entretenir une relation de symétrie avec « fictionnel »…

12 Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance, Paris, Denoël, 1975.

13 Allusion à la position adoptée par Philippe Lejeune dans La Mémoire et l’oblique. Georges Perec autobiographe, Paris, POL, 1991 qui, en matière d’écriture intime, valorisait, comme l’indique assez clairement le titre de son livre, l’obliquité de l’écriture de Perec, et critiquait ce qu’il percevait comme la pesanteur démonstrative (d’aucuns diraient « didactique »…) de celle de Robbe-Grillet.

14 Dans Duplications et duplicité dans les « Romanesques » d’Alain Robbe-Grillet, op. cit., on s’en serait douté…

15 Paris, Ed. de Minuit, 1953.

16 Roger-Michel Allemand, « Représentations de l’espace dans les Romanesques : vers un déplacement de l’autobiographie », dans Alain Goulet et Roger-Michel Allemand, Imaginaires, écritures, lectures de Robbe-Grillet. D’Un régicide aux Romanesques, Lion-sur-Mer, Arcane-Beaunieux, 1991, p. 87.

17 Roger-Michel Allemand, ibidem, p. 98 sq.

18 Angélique ou l’Enchantement, op. cit., p. 12-13 et 34. Ce phénomène spéculaire a déjà été analysé par Roger-Michel Allemand, Duplications et duplicité dans les « Romanesques » d’Alain Robbe-Grillet, op. cit., p. 37-38.

19 Voir Angélique ou l’Enchantement, op. cit., p. 37 et 39, et les analyses de Roger-Michel Allemand, Duplications et duplicité dans les « Romanesques » d’Alain Robbe-Grillet, op. cit., p. 39.

20 Angélique ou l’Enchantement, op. cit., p. 25.

21 Roger-Michel Allemand, Duplications et duplicité dans les « Romanesques », op. cit., p. 41-42.

22 J’emprunte cette formule à Mireille Calle-Gruber, « Alain Robbe-Grillet, l’enchanteur bio-graphe », Littérature, n° 92, décembre 1993, p. 33.

23 Sur le procédé de la métalepse, dont certaines variantes transgressent la frontière de la représentation, voir notamment Gérard Genette, Métalepse. De la figure à la fiction, Paris, Ed. du Seuil, 2004, coll. « Poétique » ; et John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation,  Paris, éditions de l’EHESS, 2005, coll. « Recherches d’histoire et de sciences sociales ».

24 Angélique ou l’Enchantement, op. cit., p. 114.

25 Pour une tentative de présentation synthétique de ce phénomène, que l’on me permette de renvoyer également à Frank Wagner, « Glissements et déphasages. Note sur la métalepse narrative », Poétique, n° 130, avril 2002.

26 Allusion au sous-titre de l’ouvrage de John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, op. cit.

27 Comme l’avait déjà signalé Gérard Genette dès sa première tentative de formalisation de la métalepse narrative, dans Figures III, Paris, Ed. du Seuil, 1972, coll. « Poétique », p. 245.

28 Dans le labyrinthe, Paris, Ed. de Minuit, 1959.

29 La Maison de rendez-vous, Paris, Ed. de Minuit, 1965.

30 Projet pour une révolution à  New York, Paris, Ed. de Minuit, 1970.

31 Sur ce point, on se reportera avec profit aux analyses de Roger-Michel Allemand, « Représentations de l’espace dans les Romanesques », art. cit., p. 101-102. 

32 Les derniers jours de Corinthe, op. cit., p. 193-197.

33 Ibidem, p. 197.

34 « Enigmes et transparence chez Raymond Roussel », dans Pour un nouveau roman, Paris, Ed. de Minuit, 1963.

35 Raymond Roussel, La Vue, Paris, Alphonse Lemerre, 1904.

36 Comme l’a démontré Mireille Calle-Gruber dans « Alain Robbe-Grillet, l’enchanteur bio-graphe », art. cit.

37 Cette notion a été introduite par Richard Saint-Gelais, dans Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Ed. du Seuil, 2011, coll. « Poétique ». Ce phénomène advient « lorsque deux textes (ou davantage) « partagent » des éléments fictifs (c’est-à-dire, y font conjointement référence), que ces éléments soient des personnages, des (séquences d’) événements ou des mondes fictifs » (« Entretien avec Richard Saint-Gelais : Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux » (propos recueillis par Frank Wagner), Vox-Poetica (http://www.vox-poetica.org/), mis en ligne le 20 avril 2012, p. 2). On le voit, la circulation paradoxale de la chaussure de bal robbe-grillétienne, par-delà la frontière supposée séparer fiction et diction, nous conduit aux confins de la transfictionnalité telle que la définit Richard Saint-Gelais.

38 Les derniers jours de Corinthe, op. cit., p. 113.

39 Souvenirs du triangle d’or, Paris, Ed. de Minuit, 1978.

40 Voir Bernard Magné, « Métatextuel et lisibilité », Protée, vol. 14, n° 1-2, printemps-été 1986. La définition de cette notion est donnée à la page suivante du présent article.

41 Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions (1782-1789, posthume), Paris, Gallimard, 2009, coll. « Folio classique » pour l’édition utilisée.

42 Jean-Paul Sartre, Les Mots, Paris, Gallimard, 1964 ; puis coll. « Folio », 1972 (1987 pour l’édition utilisée).

43 Stendhal (Henri Beyle, dit), Vie de Henry Brulard (1890, posthume), Paris, Gallimard, 1978, coll. « Folio » pour l’édition utilisée.

44 A la suite de Gérard Genette, Seuils, Paris, Ed. du Seuil, 1987, coll. « Poétique ».

45 « Métatextuel et lisibilité », art. cit., p. 77. 

46 Le Miroir qui revient, op. cit., p. 16, 47 et passim.

47 Les derniers jours de Corinthe, op. cit., p. 190.

48 Ibidem, p. 87.

49 Idem, p. 142.

50 Idem, p. 177.

51 Idem, p. 190.

52 Idem, p. 17.

53 Idem.

54 Ibidem, p. 18.

55 Angélique ou l’Enchantement, op. cit., p. 67-68.

56 Dans « Méthodes et problèmes. La figuration de soi », art. cit. Les lignes qui suivent consistent en une synthèse, agrémentée de quelques citations, des réflexions de Laurent Jenny. Pour les nombreuses références qui y figurent, on voudra bien se reporter au texte ainsi résumé.

57 Laurent Jenny, « Méthodes et problèmes. La figuration de soi », art. cit., p. 2.

58 Idem.

59 Une fois encore à la suite de Laurent Jenny, à qui il me faut rendre ce qui lui appartient. Qu’il soit donc clair que les considérations qui se sont développées depuis le précédent appel de note sont pour l’essentiel paroles de seconde main.

60 Les derniers jours de Corinthe, op. cit., p. 220.

61 « Méthodes et problèmes. La figuration de soi », art. cit., p. 13.

62 Pour ce faire, j’aurai de nouveau recours à Laurent Jenny, « Méthodes et problèmes. L’autofiction » (2003), à qui j’emprunte notamment la distinction entre définitions stylistique et référentielle de l’autofiction.
Ce cours en ligne peut être consulté à l’adresse suivante :
http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/autofiction/afintegr.html
Date de consultation : le 6 octobre 2012.

63 Serge Doubrovsky, Fils, Paris, Galilée, 1977.

64 Laurent Jenny, « Méthodes et problèmes. L’autofiction », art. cit., p. 7.

65 Un amour de soi, Paris, Hachette, 1982 ; La Vie l’instant, Paris, Balland, 1984 ; Le Livre brisé, Paris, Grasset, 1989 ; L’après-vivre, Paris, Grasset, 1994 ; Laissé pour conte, Paris, Grasset, 1999 ; Un homme de passage, Paris, Grasset, 2011.

66 Ibidem, p. 6.

67 Les derniers jours de Corinthe, op. cit., p. 205.

68 Le Miroir qui revient, op. cit., p. 32.

69 Ibidem, p. 14-15.

70 Angélique ou l’Enchantement, op.cit., p. 242-245.

71 Même si Robbe-Grillet déclare ne pas souscrire pour sa part à l’hypothèse selon laquelle l’inconscient serait structuré comme un langage. Voir Le Miroir qui revient, op. cit., p. 17.

72 Jacques Lacan, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique », dans Ecrits, Paris, Ed. du Seuil, 1966.

73 Vincent Colonna, Autofiction & autres mythomanies littéraires, Auch, Tristram, 2004.

74 Marie Darrieussecq, « L’autofiction, un genre pas sérieux », Poétique, n° 107, septembre 1996.

75 Sur ce point, Marie Darrieussecq rejoint donc, au moins pour partie, les analyses de Gérard Genette (Fiction et diction, op. cit.) qui évoque le « pacte délibérément contradictoire propre à l’autofiction (« Moi, auteur, je vais vous raconter une histoire dont je suis le héros mais qui ne m’est jamais arrivée ») » (p. 86).

76 Précision qui ne vise nullement à contester l’intérêt ou la légitimité de ce genre ou sous-genre. Après tout, ne pourrait-on en dire autant du roman ?...

77 « En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même […] » (Marcel Proust, Le Temps retrouvé (1927, posthume) dans A la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, 1999, coll. « Quarto », p. 2296 pour l’édition utilisée.

78 Angélique ou l’Enchantement, op. cit., p. 69.

79 Les derniers jours de Corinthe, op. cit., p. 145.

 

13/07/2013

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