Spaesamento (Dépaysement)1 ou « BERLUSCONI » comme espace public

 

 
Philippe Daros
Université Paris III – Sorbonne Nouvelle

 
C’est en fin d’été qu’un narrateur revient à Palerme, la ville de son enfance, pour tenter une identification, une caractérisation de cette ville méditerranéenne quittée depuis de nombreuses années et dans laquelle il retourne irrégulièrement. Il y restera trois jours et emploiera chacun d'entre eux à effectuer le plus grand nombre possible d’observations, de « carottages » de la société palermitaine, métaphorisant ainsi la technique géologique de prélèvements expliquée par une émission de télévision vue, par hasard, le soir de son arrivée dans sa ville natale. Tous ces « carottages » : « prélèvements » phénoménologiques relatifs au comportement des gens à la plage, dans les bars du centre ville ou de la périphérie ; observations des activités municipales pour l’éradication des palmiers rongés par la maladie ; description du comportement d’enfants qui, depuis un balcon, « crachent » sur les passants ; transcription de dialogues dans les lieux publics, vont apparaître comme autant de « scènes » de la vie la plus quotidienne à la fin des années 2000. Chacune d’entre elles, se présente encore comme une « micro-anthropologie » du présent, singulière à plus d’un titre car elle fait de ce présent une stase qui ne s’oppose plus à aucun passé et ne préfigure, fut-ce contradictoirement, aucun avenir. Chaque « personnage » décrit, chaque situation, chaque dialogue, chaque commentaire se propose comme l’absolutisation d’un présent marqué à la fois par son vitalisme, son in-essentialité mais aussi le poids de son « être-là » comme manifestation d’un sens commun, ou mieux, d'un sens communautaire...  paradoxal.


 
BERLUSCONI comme lieu-commun

Berlusconi. Qui, racontent les journaux, a dit. A fait. A pensé et repensé. Est parti, est revenu, est reparti. A caressé. Pincé. Pris. Déraciné. Qui a mangé et digéré. Berlusconi a attaqué et s’est défendu, il a souligné et répété, il s’est indigné, a démenti, a expliqué, a rappelé. Puis il a prévu et il a exclu, il a décidé, il s’est engagé,  a condamné, il a imposé ; il a reçu, il a envoyé, il a exécré ; il a exposé. Il a modifié, fondé, détruit. Puis il a liquidé, il a couronné, il a nommé et il a caché. Il a défendu, il a prétendu. Il s’est étiré, il a bâillé, il a dormi.
Il a dormi2.

 
        Un sens communautaire paradoxal car, de fait, tout le roman de Giorgio Vasta, écrit en 2010 (Silvio Berlusconi est alors encore Président du Conseil), est marqué par un trait fictionnel surprenant. L’apparente volonté de communication qu’impliquent les propos, dans l’espace public, entre des personnages, anonymes, croisés dans les rues de Palerme, semble se concentrer, se résorber en un mot, en un mot-corps, en un mot-lien, en un mot-agora, en un mot-métonymie, celui de BERLUSCONI. Dire que ce signifiant hante chaque page, chaque scène est peu dire3 ! Dans Spaesamento, BERLUSCONI est d’abord pâté de sable « alphabétique » édifié, sur la plage de Palerme, par des enfants-bâtisseurs avant que d’autres enfants ne viennent détruire chaque lettre de sable du mot-emblème. Mais BERLUSCONI apparaît surtout comme le lieu-commun sur lequel se projette la sensibilité de chacun : les propos de comptoir tenus par trois palermitains dans un café, tels que rapportés par un narrateur-carotteur, évoquent l’identification distanciée de chacun d’entre eux, avec le chef du gouvernement italien, dans ses relations aux femmes, révélées par des écoutes téléphoniques qui firent durablement « La une » des journaux de la péninsule. C’est la maladresse de Berlusconi qui est dénoncée par les trois clients, non les conditions tarifées  de ses relations avec une théorie d’« escort-girls », selon l’expression de la presse italienne. Et le narrateur de constater : « Le problème n’est pas l’abus, je songe en me renfonçant dans un coin du café, mais la découverte de l’abus4 ». Dès lors une conclusion s’impose. Si ces trois journées évoquent une micrographie, une micro-anthropologie du quotidien le plus ténu, du plus insignifiant, c’est que n’existe plus guère de pertinence dans la hiérarchisation, dans la discrimination des travaux et des jours des Palermitains. Le sens du geste, de chaque geste renvoie, en dernière analyse, à une totalité explicite, sans dehors : le corps de Berlusconi ! « Peu importe le jour, peu importe le mois et peu importe l’année. Peu importe le détail, peu importe quand, car Berlusconi n’est pas le détail qui décrit le tout : il est le tout qui décrit le détail5. »  À strictement parler et au prix d’un dérapage épistémique, Berlusconi est ce Verbe que chaque objet du monde, que chaque mot du monde, métonymise, célèbre en dernière instance. Il est ce vers quoi tout converge, en lui se résorbe toute diversité, en lui se subsume tout dissensus. Il est l’interprétant exclusif de la réalité. Ce mot est encore un trou noir : il constitue un attracteur, un vortex dans lequel se concentre tout l’espace public. Bref, tout comme ce théâtre d’Oklahoma dont parlait Kafka, il est le lieu dans lequel tous les gestes, toutes les actions humaines peuvent se théâtraliser, sans dehors, sans ailleurs, sans stratégie de fuite possible. Il convient de trouver dans ce constat l’un des pôles d’intérêt, politique, de ce roman. Loin de se préoccuper de sa projection dans l’espace public : un espace palermitain mais aussi, nous le verrons, italien et, plus généralement encore, européen, occidental, Spaesamento inclut dans sa présentation la représentation d’un espace public refermé sur le nom, sur le nom du chef du gouvernement. Si, comme le pensent Jacques Rancière ou Giorgio Agamben, le propre d’un pouvoir démocratique est de se retirer d’une partie de l’espace public, pour laisser place à une libre expression de la société civile ;  alors il est clair que ce roman montre jusqu’au vertige, jusqu’au fantasme, une involution (invagination serait terme encore plus juste) de l’espace public et dit avec intensité la réapparition, historique en Italie mais pas seulement, d’une figure de chef aussi mythifiante que paradoxale, comme figure de l’unité. De l’Unité dans laquelle se dissout l’espace public. Figure paradoxale, plus sans doute pour les observateurs extérieurs que pour le « peuple » italien lui-même. Car l’identification des italiens à leur « chef » se sera effectuée, durablement, sur une vieille mythologie résiduelle encore vivace,  fondée sur un machisme très catholique, où l’aptitude à « gagner de l’argent », à mettre en œuvre une vie sexuelle aussi intense qu’héroïque6, une confusion générale des valeurs – le football comme manifestation identitaire, etc - correspond à une longue tradition. Quoi qu’il en soit, il est clair que l’histoire du siècle dernier a appris à chacun que les expériences totalitaires sont consubstantiellement liées à la résorption de l’espace public dans la figure de l’Autorité. C’est dire encore que ce roman décrit un pays placé en « état d’exception », puisque toute liberté de penser se trouve dissoute dans l’incessant commentaire des faits et gestes d’un homme-mot imprédicable, d’un signifiant au fond essentiellement vide qui, en tant que tel, permet l’investissement imaginaire de chacun. Au demeurant l’un des personnages, anonyme, mis en scène dans un dialogue de comptoir palermitains, ne s’y trompe pas : « Berlusconi, observe-t-il, suspendant son affirmation pour lui donner plus de gravité, est Berlusconi.7 » Que le mot-corps BERLUSCONI subsume à lui seul l’espace public est, au demeurant, explicitement affirmé dans le roman de Giorgio Vasta, lorsque le narrateur, observant la rue, depuis le balcon de son appartement, commente (!) le passage d’une bicyclette ». « Ce modèle de bicyclette aussi a un nom. Historique. Déposé. »

Puis, quelques instants plus tard, il ajoute :

Berlusconi est ancré dans l’italianité comme la Vespa et la Bialetti, comme la bicyclette Graziella ou les figurines Panini, je songe. C’est une marque déposée. Trademark. (…)
Le mot Berlusconi est une synthèse. L’air, le vecteur entre les choses. La patrie du présent.
Désormais, Berlusconi est la marque d’un produit : Berlusconi est la marque, l’Italie le produit8.

 
Que Berlusconi soit « le vecteur entre les choses » dit avec précision sa nature de lieu commun, de « mot-agora » mais plus encore de « mot-lien ». Il apparaît comme la condition même de toute communication ; air qui autorise le transport du message, vecteur qui en détermine la destination, « patrie du présent » qui suggère l’atemporalité de l’identification. La condition mais surtout l’anéantissement même de toute communication ! Car s’il est pertinent (ce que je crois) de dire avec Lyotard que la condition même de la communication, dans un espace public, implique le surgissement et la négociation du différend ;  alors dans le cas des situations de communications mises en fiction dans ce roman, il apparaît que tout dialogue, articulé sur le lieu commun du nom-agora, se solde par un différend répétitif, sans aucune forme possible de négociation puisque le différend n’ouvre à aucune synthèse dialectique et s’effondre dans le silence du « pour » ou « contre » Berlusconi. C’est là, constate le narrateur un processus d’élimination du langage et, donc, « d’élimination des récits.9 »

Il est encore possible de reformuler l’étrange situation du système social italien que met en fiction Spaesamento dans des termes10 qui sont empruntés à Niklas Luhman, sociologue contemporain résolument antihumaniste, dans son approche de la relation entre « système psychique » (syntagme utilisé par opposition à celui de « sujet » qu’il rejette) et système social précisément. Luhman avance qu’un système social se caractérise selon trois critères : par le rapport qu’entretient la notion d’événement avec la temporalité (1), par l’existence d’une contradiction continue entre les systèmes psychiques individuels, ou, plus exactement, de l’existence potentielle d’un conflit permanent entre un système psychique et son « environnement », c’est-à-dire les autres systèmes psychiques qui l’entourent (2), enfin par la conception du « sens » que ce système développe (3). Or si l’on juxtapose les définitions de ces trois éléments constitutifs d’un système social aujourd’hui, tels que Luhman les proposent, on se rend compte que le discours fictionnel des personnages de Spaesamento dessine un paysage qui en constitue l’exacte négation. Reprenons les rapidement dans un ordre inversé. Le sens est défini phénoménologiquement comme un excédent par rapport à tout agir. Le sens double donc toute action effective par la conscience de l’existence d’un ensemble d’autres actions possibles et le sens du sens naît de la différence entre l’action actualisée et celles qui demeurent dans un état d’inactualité momentanée. Dans Spaesamento, l’horizon du sens se ferme sur le mot Berlusconi, il n'existe aucun possible en dehors de ce centre gravitationnel, aucun agir potentiel autre que la profération de ce nom « patrie du présent ». Ensuite, on constate que, chez Luhman, le sens interfère nécessairement avec la temporalité, avec une temporalité ouverte. Si l’événement est doublé de possibles « en attentes », alors l’attente elle-même devient cette figure de l’avenir précisément défini comme « horizon d’attentes ». Estelle Ferrarese présentant l’œuvre de Luhman cite celui-ci à ce propos : « … ce qu’un système peut différencier comme son temps propre résulte du réseau sélectif d’événements sélectionnés, futurs et passés. C’est le temps que l’on peut « avoir », le temps qui peut devenir rare, le temps de la hâte et de l’ennui11. » On remarquera, en passant, une évidente proximité de cette réflexion sur le temps historique avec des termes messianiques sur le « temps qui reste », comme étant notre propre rapport à la temporalité. Or, il n’y aucun « ouvert », aucune attente dans le présent étal que vivent les personnages du roman de Vasta. A une question du narrateur sur « ce qui se passe », un personnage répond, péremptoirement : « On te l’a déjà dit tout ce qui s’est passé ne s’est jamais passé. Et continue de se passer12 ». Enfin, c’est toujours au cœur d’une temporalité ouverte que s’articule le dernier élément constitutif d’un système social, l’existence d’une force permanente de contradiction, de dissensus. Chez Luhman, le conflit relève d’une absolue nécessité dans l’organisation adversative des systèmes psychiques avec leurs « environnements ». Il y a conflit chaque fois qu’une information exposée est contredite et ce conflit va constituer le lieu commun d’interdépendances communautaires des systèmes psychiques entre eux. Plus fondamentalement, note Estelle Ferrarese dans l’article cité : « C’est la communication tout entière, selon Luhman (qui) est construite sur la possibilité du refus. » Il n’existe aucun refus dans Spaesamento, une adhésion sans adhésion à une « marque » Berlusconi, à un « produit » : l’Italie. L’Italie est bien un système social comme survivance formelle à l'intérieur duquel toute dynamique fonctionnelle a disparu.

 

Berlusconi ou la fin du temps historique

Lors du premier jour de sa présence à Palerme, le narrateur constate une saisissante transformation de l’espace commercial urbain par rapport à celui dans lequel il a grandi, marquée par la disparition des cafés (une institution dans le système social italien, précisément) au profit des magasins de vêtements. Cette métamorphose dit encore la fin des lieux publics comme lieux d’expression de la communauté, et cette disparition lui apparaît alors comme l’image même du devenir de la société occidentale :

L’actuelle conversion des espaces dans lesquels on produit du langage en espaces dans lesquels le langage est réduit au strict minimum, standardisé, répondant aux besoins de l’achat et de la vente, est une donnée qui n’est pas simplement locale mais italienne, européenne et même occidentale.

 
Sans doute est-il significatif de constater que cette disparition des lieux d’expression du différend démocratique -l’espace du « bar » -, est l’occasion d’une évocation mémorielle autobiographique de la part du narrateur. Dans la chaleur d’un après-midi d’été palermitain, il cherche à étancher sa soif. Il parcourt l’artère principale de la ville mais, entre les bars fermés pour « congés annuels » et ceux qui ont été convertis en magasins de mode, un tel (modeste) désir s’avère impossible à satisfaire ! Il place ses espoirs dans l’existence d’un café « historique » situé « après la Piazza Politeama, juste au début de la Via Ruggero VII13 », un café qui, parce qu’« historique » ne peut avoir disparu. Ce café fait alors lever une mémoire politique liée à l’adolescence, aux mouvements étudiants. « Il y a vingt ans, c’était déjà un café historique, celui où l’on s’arrêtait durant les manifestations, au temps du lycée, car il se trouvait sur le parcours traditionnel des cortèges14. »

Hélas, ce lieu qui témoignait d’une stratification historique, s’il existe encore, s’est, lui aussi, métamorphosé. Ce café apparaissant comme un chronotope, resurgi, par anamnèse, dans la conscience du narrateur, était un lieu où advenait l’histoire : celle des conflits des années 70 du siècle dernier où les lycéens, les étudiants rêvaient encore d’un lien entre révolution et émancipation. Mais dans le présent de ce début de XXIème siècle, il a perdu toute sa spécificité pour devenir simple duplication des standards décoratifs des bars « modernes » : néons, fluos, carrelages anonymes, aluminium… Ce café est devenu « le café du présent. » Le narrateur évoque alors, par opposition, la décoration « historique » de ce café et le fait de façon intéressante : non pas seulement comme lieu de mémoire, mais comme lieu d’incorporation de l’histoire, du corps humain. Dans sa jeunesse « révolutionnaire », se rappelle-t-il, le matériau du comptoir était alors le zinc « -le zinc que l’on retrouve également dans le sang humain-». Mais surtout, dans une anamnèse, il évoque les sensations de son corps alors réfugié dans le café…

… je restais debout, au milieu du café –le sac à dos sur l’épaule et, dehors, la bruit sourd et doux du cortège- et, je percevais les minéraux qu’on extrait, la sidérurgie, la fonte des forges, la matière décomposée et recomposée pour produire des formes et des biens manufacturés : je percevais le travail nécessaire, les processus et la durée15.

 
Désormais, ce bar n’incorpore plus rien d’humain, il est le lieu sans histoire d’un présent sans passé, d’un espace physique indifférencié sans espace de communication.

Dès lors, le manque que je ressens est le manque de passé. Pas d’un beau passé : de n’importe quel passé. Car je ne sens plus le temps, je ne sens pas l’histoire ; l’axe carreaux-marbres-néon/Palerme-Turin-Rome-Milan me mortifie en m’aplatissant contre un présent infini et sans issue16.

 
Cette constatation d’un présent qui ne se dilate ni par rétention, ni par protension et  donc qui n’inscrit l‘agir dans aucune continuité temporelle, dans aucune perspective historique semble faire du roman de Vasta une illustration « idéologique » d’une post-modernité qui rime avec la notion de « post-histoire ».

Un surprenant renversement dans le traitement générique de la fiction : alors que tous les personnages étaient saisis « de l’extérieur », selon une phénoménologie comportementale bien loin de toute caractérisation discursive, ils vont tous rejoindre le narrateur pour prendre la parole, dans des termes qui brouillent totalement une perspective de représentation unifiée, faisant apparaître une polyphonie énonciative d'une absolue liberté. Tous ces personnages jusqu'alors anonymes – et parce qu’anonymes, désignés par le narrateur avec autant de surnoms ou de périphrases : la « femme cosmétique » pour une baigneuse désirable vue à la plage ; « Albator » pour un adolescent punk rencontré dans un bar ; « Stefi » pour une adolescente passant sa journée à cracher, du haut d’un balcon d’immeuble, sur les passants, etc.-, tous ces palermitains entrevus lors des déambulations du narrateur dans sa ville natale, le rejoignent donc pour, en un changement de ton, de comportements, d’identités, lui démontrer toute la naïveté de ses commentaires sur la réalité palermitaine. Palerme, c’est l’Italie et l’Italie est espace indifférencié où toute spécificité s’est perdue. « Berlusconi » lui expliquent-ils surtout, n’est pas cause mais effet, il n’est que la conséquence de ce temps sans temps, il n’en est que « l’incarnation la plus intense. Il ne crée pas, il ne génère pas17. »

La question du sens est tranchée, abruptement, par l’adolescent punk devenu théoricien post-moderne : « la réalité italienne est incertaine (…) Elle se trahit, elle est suspecte. (…) La réalité italienne est une opération à somme nulle ». Puis Stefie, gamine à peine adolescente, elle aussi métamorphosée en philosophe post-moderne, de conclure :

Berlusconi peut s’autoriser l’abus aussi bien que la découverte de l’abus (…), non en vertu d’une raison suprême, magique ou criminelle, mais parce que Berlusconi perçoit – authentiquement et sans traumatisme - la nébuleuse italienne dans laquelle s’unissent toutes les distinctions, où tout se confond et s’annule, où les oui et les non se mêlent, où les affirmations contradictoires se nouent et s’annulent, et où le sens s’évanouit18.

Décontenancé par ces explications, le narrateur pose alors la question -ou fait la preuve de son désarroi- en demandant :

« Maintenant qu’est-ce qui se passe ? »

Ce à quoi, Stefi répond :

« On te l’a déjà dit tout ce qui s’est passé ne s’est jamais passé. Et continue de se passer19. »

Peut-être est-ce là la meilleure approche phénoménologique possible d'une attitude correspondant à cette notion, incertaine, de post-modernité. Elle se révèle, en tout cas, comme strictement conforme à la tentative de définition qu'en propose, de façon critique d'ailleurs, Pierre Macherey.

(...) la signification de la post-modernité : elle rend compte de ce que, l’histoire étant achevée, elle ne s’en continue pas moins, à la fin des fins, dans une sorte de temporalité stagnante où rien de ce qui se produit ne peut plus être mesuré en termes de progrès ou de recul, d’avant ou d’après, et selon un schème de progressivité dont la clé serait donnée par la négation, moteur de l’histoire. La fin de l’histoire c’est aussi l’histoire qui n’en finit pas de finir : immobilisé et comme pétrifié, le temps piétine, en se déployant dans l’espace ouvert par la certitude de son achèvement en cours, ce qui lui donne l’allure d’une trêve indéfiniment prolongée, une sorte de panne, ou de marge, occupée par un sentiment d'attente libre de tout objet, n’ayant en conséquence plus aucun rapport avec un avenir de promesses ou de menaces20.

Comme un messianisme diffus, suspendant le temps historique au profit d’une attente sans attente, sans finalité eschatologique concevable ! Et l’intelligence « critique » de cette stase, de cette situation où chaque geste, chaque décision, chaque comportement apparaît comme lui-même et son contraire, ne change rien car « cette intelligence est reddition ». Cette ultime remarque constitue la réponse, péremptoire et en fait tragique, d’Albator à l’interrogation abstraite, naïve du narrateur, portant sur le rôle de l'intelligence comme facteur adversatif, comme moyen de résistance face à ce messianisme sans messie. Cette réponse, sans illusions, autorise aussi une remarque essentielle sur la notion de post-modernité : celle du lien entre lucidité critique et action sur le réel. En effet, ce que Macherey développe, avec force, est la nécessité de continuer à penser la promesse du devenir en termes d'émancipation. Certes, dit-il, il faut avoir conscience des conséquences – catastrophiques- qu’auront eu, tout au long du XXème siècle les utopies totalisantes liant praxis, émancipation et révolution, certes encore convient-il de dénoncer, ou du moins de prendre un recul lucide avec toutes les thèses, post-hégéliennes, d’eschatologie de l’Histoire mais, de là à prétendre, ajoute-t-il, que toute action qui s’inscrirait dans une perspective idéologique de changement de l’ordre du monde soit inacceptable, il y a un pas. À ne pas faire. Car l’affirmation du mythe de l’idéologie est, elle-même, une affirmation mythique.

 

Politique de l’écriture : la revendication du différend

Sans doute convient-il, en dernière analyse et puisqu’il s’agit de littérature, de s’interroger par rapport aux constats idéologiques, anthropologiques et sociaux qui précèdent, sur la poétique que met en mots l’œuvre de Vasta. Il est possible de le faire selon deux perspectives. L’une, liée à l’évolution même de la littérature italienne depuis une vingtaine d’années, marquée par l’apparition, la diffusion, la médiatisation, la politisation du collectif auto-baptisé « Wu Ming », apparition marquée par de multiples déclarations de ce collectif sur la fonction « politique » du roman, aujourd’hui. L’autre, plus générale, posant la question des modalités, des possibilités de maintien d’un lien entre œuvre d’art et « engagement ».

La première est rendue légitime par l’existence de liens manifestes entre Giorgio Vasta et le collectif Wu Ming. Vasta partage, avec quelque distance ironique d’ailleurs, certains traits formels définis par la poétique du collectif. Parmi ceux-ci, la dés-hiérarchisation de la voix narrative, des voix narratives, la dimension allégorique, le refus d’inscrire la fiction dans une quelconque classification générique, notamment dans un débat sur le « réalisme », sur le statut de la représentation, etc. C’est bien évidemment, ce refus de l’autorité de la voix narrative qui explique, dans la présentation précédente du roman de Vasta, l’hétérogénéité, l’inconsistance des identités narratives des divers personnages, tour à tour punks aphasiques, adolescents capricieux et épistémologues lucides de la société dans laquelle ils vivent leur présent sans passé. C’est encore une composante essentielle de tous les romans du groupe Wu Ming, -la dimension allégorique revendiquée dans des termes benjaminiens-, que l’on retrouve dans l’embrasement final de tous les palmiers palermitains, embrasement apocalyptique sur lequel nous reviendrons. L’intérêt de ces rapprochements formels réside dans la signification politique affirmée, par Wu Ming, de ces dispositifs d’écriture fictionnelle. Ils attestent d’une lecture critique de l’Italie actuelle par la médiation de l’allégorie historique, par la polyphonie énonciative comme création d’une « communauté désoeuvrée », un ensemble de stratégies que partage sans aucun doute Giorgio Vasta.

Mais, et c’est là présenter la seconde perspective, il est sans doute possible de rendre compte de l’écriture de Vasta, de sa spécificité, en l’opposant aux régimes des discours communicationnels et informationnels tels qu’ils apparaissent dans la fiction de Spaesamento. Il est bien sur quasiment impossible de décrire une pratique d’écriture qui affecte chaque syntagme, qui détermine la singularité de chaque image, mais on peut toutefois en rendre compte en disant qu’elle traduit une subjectivation21 du rapport au langage, un imaginaire perceptif qui l’oppose terme à terme à la réduction du rapport à la langue dont témoignent les personnages lorsqu’ils ont comme seul lieu commun, comme seul horizon, le nom de BERLUSCONI. Ce roman dans la moindre des images proposées par l'instance narrative apparaît comme une réassignation, une réappropriation ou encore une défamiliarisation de toutes ces choses du monde qui, dans la diégèse, se subsument en un nom commun de marque, de produit. En voici quelques exemples.

Le narrateur vient de quitter le groupe d’adolescents punks entrevus dans un bar et rejoint alors, dans la rue l’un d’entre eux…

Je rejoins celui qui a les menottes pendues à son cou. Il interrompt un dialogue laconique et se tourne vers moi. Je le regarde. Sa frange se transforme en un bandeau noir, un crâne de pirate se matérialise sur son tee-shirt. Albator. Je fixe son œil de corsaire de l’espace, ton cœur est bon même si tu parais de glace, et, intérieurement, silencieusement, je m’adresse à cette citation du début des années quatre-vingt incarnée par un adolescent lymphatique d’aujourd’hui, au héros de la fin de mon enfance, avec ton équipage tu prends à l’abordage tous les Spatio-Cargyrs, lui dis-je, et le héros me regarde, perplexe, Polyphème lacrymal en pleine puberté qui n’arrive pas à faire le point sur son interlocuteur, alors je balaie des yeux l’espace qui l’entoure, en songeant que malgré tout tu es toujours au rendez-vous, n’importe quand, n’importe où, tu es toujours avec nous, mais autour il y a d’autres émos introvertis et la statue blanche de Ruggero VII qui nous scrute, la main droite glissée entre les boutons de sa jaquette, à la Napoléon22.

Ou encore voici la manière dont il rend compte de son observation d’enfants qui, dissimulés sur un balcon, crachent sur les passants :

Leurs crachats ne sont pas aléatoires, ils ne forment pas une pluie mais visent une cible choisie, ce sont des jets de sécrétion qui frappent de manière chirurgicale. Car le crachat désigne l’ennemi, et il est clair qu’on ne crache pas sur les gens du quartier. Et comme, dans cette rue, ne passent à peu près que des gens du quartier, les bouches des semeurs de peste restent remplies, chargées, et la munition de salive tourne dans les joues dans l’attente de quelqu’un à qui la destiner. Stefi, en particulier, continue à produire du liquide et à recruter du mucus au fond de sa gorge, fabriquant à l’abri des lèvres une mortelle bombe de solvant23.

Il n’est pas ici essentiel de parler d’autonomisation du signifiant, de fascination du langage pour lui-même, non que tout cela n’existe pas bien sûr comme manifestations de la modification même des pratiques du sensible dans l’esthétique contemporaine, mais parce que ce ne sont là ni les éléments les plus intéressants, ni les plus originaux, de cette poétique de réappropriation (de la part du narrateur) et de défamiliarisation (pour le lecteur) de la langue. Cette réappropriation passe d’abord pour ce narrateur aux origines palermitaines par la reconstitution imaginaire d’une profondeur temporelle, d’une stratification historique en relation directe avec sa vie. Elle advient grâce à une mémoire, grâce encore à une fonction métaphorique de transfert qui métamorphose de façon significative la perception des objets. Elle le fait enfin, et d’autres exemples en attestent, dans un traitement de la communication en termes de contradiction. C’est évidemment là la fonction de toute la « scène » finale où chaque personnage, défini précédemment comme sans voix, comme infans, prend la parole pour contredire les propos du narrateur. Bref, elle intériorise dans la lettre même du récit les conditions d’existence d’un débat démocratique comme condition d’existence d’un système social, si l’on reprend les termes de Luhman.

Allégorie et histoire

Ce roman développe, en forme de conclusion, une étrange allégorie apocalyptique, suggérée par une métamorphose de l’espace urbain, par l'évocation d'un processus de destruction de la nature.

À plusieurs reprises dans la diégèse, de la façon la plus incongrue, la plus énigmatique, tantôt sur un plateau où l’on sert des biscuits apéritifs, tantôt sur la toile cirée d’une table de bar improvisé, apparaissent d’étranges objets : « des choses rouges et plates, des hosties cardinalices ou des petites tomates séchées longues d’environ quatre centimètres et larges de deux, mais ce ne sont pas des hosties et ce ne sont pas des tomates séchées, car elles bougent24. » Selon un art du récit proche de Kafka, ces étranges notations mouvantes demeurent sans explications. La narration ne prend nullement en charge une quelconque prédication de ces « choses »25. Jusqu’à la fin du roman où dans une scène qui confère à Spaesamento moins une couleur fantastique qu’elle ne traduit une liberté d’expression absolue face à tout codage générique, à toute réactualisation d’une opposition avec un improbable « réalisme », ces étranges « choses rouges » vont rendre compte es qualités de la présence d’employés municipaux qui abattent, dans les rues de Palerme, les uns après les autres, tous les palmiers infestés de « charançons rouges ». Tandis que les palmiers de la ville s’embrasent dans un feux exterminateur et que, simultanément, des palermitains s’agitent – pure allégorie – en toile de fond, pour détruire les arbres et les...ingérer (!), le narrateur dialogue26, dans les termes d’une maïeutique explicitement placée sous sa référence platonicienne, avec la « femme-cosmétique » pour tenter de comprendre ce qui se passe. Il s'agit là à la fois d'une lecture indirecte, de la scène allégorique et d'une mise en abyme de tout le roman. La "femme-cosmétique" explique que cette destruction est le fait des habitants, traduit leur besoin de destruction, de régression à la matière élémentaire comme phase nécessaire avant toute rénovation programmatique. Le narrateur s'insurge en affirmant son désir « d’une conscience qui fasse irruption dans cette matière indistincte, portant avec elle l’idée d'une forme et d'une fin27. » Tous les éléments de socialisation de la vie des hommes, lui explique-t-elle enfin, ont été conçus comme autant de programmes » (religion, Constitution, Histoire, mais aussi grammaire ou code pénal et cartes géographiques...) permettant d'informer cette « matière », car « ...on ne peut pas vivre dans la matière [...] C’est pour cela que la conscience fait irruption dans la matière et s’invente un programme. Pour séparer. Pour engendrer le sujet et l’histoire28. » Séparer, distinguer sont sans doute les conditions mêmes d'existence d’un espace public où un « sujet », un « système psychique » pour employer l’expression de Luhman, peut créer un dissensus, peut créer les conditions d’une communication interhumaine ouvrant aux possibles du sens. Et c’est selon Vasta, en 2010, cette distinction qui fait défaut en Italie. Un tel constat rejoint assez exactement les propos de Jean-Luc Nancy lorsqu’il parle d’une nécessaire refondation de la question du sens, en dehors du politique. Il faut, dit-il « une révolution non pas politique mais de la politique ou bien par rapport à elle. Il faut tout simplement (!) une autre « civilisation », ce qui veut dire avant tout, bien sûr, un autre mode de reconnaissance du sens29 » et pour ce faire, ajoute-t-il, les trois premières conditions sont:

1) il n’y a de sens qu’en commun (ce qui se distingue de « commun »); 2) le sens est infini; 3) le sens implique un différentiel de valeurs.

Une triple exigence qui recoupe, elle-même, les thèses de Luhman sur les conditions d'existence d’un système social et dont, point par point, Spaesamento souligne l'inexistence. Dans ce roman sur la réalité sociale, politique italienne, il n'est de sens que commun, défini par le nom de la « marque » Berlusconi dans lequel se subsume, se concentre toute signification et, bien évidemment, dans lequel se dissout tout différentiel de valeur, puisqu’il n’est pas de valeur en dehors de sa référence marchande.

En synthèse, Spaesamento est une fiction, c'est entendu. Mais ce roman pointe peut-être une caractérisation manifeste de notre temps (convient-il de lui donner le nom de « postmodernité »?) en Occident tout du moins : la nécessaire redéfinition des conditions d'une pensée de l’ « en commun » qui ne peut plus s'adosser ni à une vision du monde religieuse, ni à un humanisme profane, encore moins à l’idée de « révolution » déterminée par une dialectique des oppositions de classes. Si, à la suite, de Luhman, de Nancy mais encore de Vasta, il fallait donner un contenu à l’idée de postmodernité, en Italie, en Occident, alors peut-être conviendrait-il de suggérer qu'elle se manifeste par l'omniprésence d’un commun, d'une multitude qui ne peut inventer sa liberté par l'absence totale d'espace public comme lieu d’expression du différend.

 

 

 

1 Giorgio Vasta, Dépaysement, traduction française de Vincent Raynaud, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 2012. (éd. originale : Spaesamento, Laterza & figli, 2010)

2 Giorgio Vasta, op. cit., p. 110-111.

3 Sans doute est-il difficile pour un lecteur non italien de ce roman de comprendre une telle hantise mais un article du journal Le Monde, rédigé par par Philippe Ridet, correspondant de longues années durant de ce quotidien à Rome, en date du 4 octobre 2013, le lendemain du jour où la classe politique italienne semble avoir mis un terme à l’omniprésence du « Cavaliere » sur la scène politique s’ouvre avec le constat suivant : « Berlusconi pour le pire et le moins pire m’accompagne depuis le premier jour sans me laisser de répit, non plus qu’aux italiens. Je l’ai pris au vol pour ainsi dire. Je me suis cogné à lui chaque jour ou presque. Imprévisible, hors norme, ridicule, pathétique, il a justifié à lui seul la présence d’une centaine de correspondants du monde entier à Rome, quand bien même la puissance de pays et son rôle déclinaient de conserve. » Philippe Ridet, « Le syndrome Berlusconi », Le Monde du 4 octobre 2013, p. 23.

4 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., p. 112.

5 Giorgio Vasta, op. cit., p. 111.

6 Rythmée dans le cas de Berlusconi par une saga médiatique portant sur ses implants capillaires !

7 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., p. 114.

8 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., p. 79.

9 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., p. 141.

10 On se rapportera à deux ouvrages traduits en français de Niklas Luhman : Politique et complexité ; les contributions de la théorie générale des systèmes, Cerf, 1999 et Système sociaux ; esquisse d’une théorie générale, Presses universitaries de Laval, 2010. On pourra aussi lire d’Estelle Ferrarese, Niklas Luhman, une introduction, Paris, Agora Pocket, 2007.

11 Voir revue en ligne « Raison publique » la présentation de l’essai d’Estelle Ferrarese à propos de l’ouvrage de Luhman Système sociaux : esquisse d’une théorie générale, cité ci-dessus. http://www.raison-publique.fr/article547.html, article d’où est tirée cette citation.

12 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., p. 140.

13 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., p. 43.

14 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., p. 43.

15 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., pp. 43-44.

16 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., pp. 43-44.

17 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., p. 136.

18 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., pp. 137-138.

19 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., p. 140

20 Pierre Macherey, « Qu'est-ce qu'être postmoderne », conférence du 26/4/2006 consultable en ligne à l’adresse : http://stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20052006/macherey13042006cadreprincipal.html

21 C’est évidemment là, la raison essentielle pour laquelle la réappropriation subjectivante des choses et des êtres du monde s’effectue en référence à l’univers de l’enfance ou de l’adolescence du narrateur. Le prénom « Stefie » sort du Corriere dei piccoli, celui d’ « Albator » renvoie à un personnage de science-fiction crée par Leiji Matsumoto en 1969 dans la manga Dai-kaizoku Harlock. Bref, la nominalisation advient comme autant d’anamnèses surgies de l’iconographie d’une enfance fortement historicisée par ce jeux d’indexations imaginaires.

22 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., p. 51.

23 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., pp. 80-81.

24 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., p. 50.

25 Ce sont là des « fonctions » au sens que Roland Barthes donnait à ce terme.

26 Ce dialogue final, à plusieurs voix, met aux prises le narrateur avec les personnages dotés de surnoms (« Stefie », « Topinambour », « Albator », « la femme – cosmétique », etc.) caractérisés jusqu’alors par leurs comportements et qui, soudainement, prennent la parole en créant un système de contradictions qui remet en cause fondamentalement toute l’anthropologie imaginaire développée par le narrateur autour du mot « Berlusconi ».

27 Giorgio Vasta, Dépaysement, op. cit., p. 144.

28 Ibid. p. 145.

29 Jean-Luc Nancy, Politique et au-delà. Entretien avec Philip Armstrong et Jason E. Smith, Galilée, 2011, p. 36. pour la citation.

 

Article publié le 15 février 2014

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